Les années 90. L'été, l'occasion d'accueillir les cousines en vacances, de regarder Fort Boyard en famille en dévorant un cornetto dégoulinant ou d'aller se baigner à la plage pour jouer avec des raquettes de tennis en bois, un frisbee fluo voire l'un des célèbres gadgets du Picsou Magazine. Mais si, rappelez-vous, ces fameuses bd qu'on retrouvait dans la table de chevet du papa, accompagnées de quelques romans SAS et autres Zola empilés en vrac. Et c'est avec une joie immense que je partage avec vous ce dossier consacré à l'édition des 7 tomes de la grande épopée de Picsou de Don Rosa, parus chez Glénat, recueils des bandes dessinées publiées autrefois dans Picsou Magazine.

Picsou Magazine, c'était quoi ? En quelques mots, il s'agissait de la publication française des comics américains « Uncle Scrooge » et « Donald Duck » publiés aux USA entre les années 50 et 80, le tout livré avec un jouet. En un sens, Picsou Magazine représentait dans les années 90 ce que Pif Gadget était lui dans les années 70-80.
Picsou magazine, c'était qui ? Deux noms majeurs s'imposent à nous quand on évoque le célèbre canard, deux auteurs égayant les pages de notre magazine préféré de l'époque (avec Dorothée magazine et Player One.), à savoir Carl Barks, papa légitime de la plupart des personnages gravitant autour de Donald tels que Picsou, Géo Trouvetou, Miss Tick, Gontran Bonheur etc... et un certain Keno Don Hugo Rosa alias « Don Rosa », l'homme qui nous intéresse aujourd'hui et dont j'aimerais vous parler à l'occasion de l'édition des 7 volumes de « la grande épopée de Picsou ».
Il est beau comme Crésus. Personnage à l'origine très secondaire dans les histoires de Barks, Picsou prendra au fil des années une place de plus en plus importante, jusqu'à posséder son propre comic intitulé Uncle Scrooge, sa série tv « La bande à Picsou » ainsi que deux jeux Nes mémorables.
À la croisée des chemins entre Timon d'Athène pour sa misanthropie, Crésus pour sa fortune et Midas pour son désir d'accumuler des richesses, Picsou, c'est avant tout la figure du capitalisme et du rêve américain, celle d'un jeune écossais sans le sou migrant aux états-unis pendant la ruée vers l'or, devenant une fois âgé riche et pingre, à la manière de l'avare de Molière, l'archétype même du « héros méchant ». Radin patenté, Picsou ne se gêne pas d'exploiter sans vergogne ses neveux dont le pauvre Donald payé 30 cents de l'heure en échange d'un travail de forçat. Oui, même dans les années 50, 30 cents, c'était peu !

Mais chez Don Rosa, le personnage prend une autre dimension, celui-ci s'inspirant des rares anecdotes évoquées par le vieux pingre pour lui constituer, petit à petit, une histoire crédible, celle d'un petit cireur de chaussures de Glasgow forcé de travailler dès l'âge de dix ans afin d'aider son père à nourrir sa famille. Le passé de Picsou sera ainsi magnifiquement détaillé dans la « jeunesse de Picsou » tout au long d'une dizaine d'histoires narrant comment le canard sans-le-sou a pu se hisser au statut d'homme le plus riche du monde, le tout honnêtement. Car c'est là le point fort de Don Rosa, réussissant le pari d'humaniser le personnage malgré sa misanthropie à l'égard des gens qui envient sa fortune ou déconsidèrent son parcours, son propre neveu étant persuadé que son oncle était né riche. Le vieil avare devient ainsi un parangon de l'effort, passionné par l'Histoire, les voyages et les autres cultures qu'il découvre à travers le monde, cette ouverture d'esprit le récompensant le plus souvent d'un trésor qui ne cesse d'accroître sa fortune. Fortune qui, nous finirons par l'apprendre, n'est que la représentation tangible des souvenirs du vieil avare, celui-ci considérant chaque billets, chaque pièces, comme un pan entier de sa vie, expliquant ainsi la raison même de son avarice. Il se pourrait même que ce cœur de pierre, en apparence seulement intéressé par l'argent, ait trouvé grâce à Don Rosa l'amour en chemin... Plus ou moins...
Un comic européen ! Quand on parle de comics, on pense le plus souvent aux super-héros de chez Marvel, pourtant, Disney a produit un grand nombre de bande-dessinées autour de nos célèbres canards. Seulement, Don Rosa nous raconte dans l'édition française de Glénat que Donald et l'oncle Picsou étaient passés de mode aux USA vers la deuxième moitié du vingtième siècle, ceux-ci rencontrant un plus large succès outre-atlantique, principalement dans les pays scandinaves mais aussi chez nous, en France, par le biais de Picsou Magazine, Picsou Géant, le journal de Mickey etc... Et c'est principalement pour le public européen que Don Rosa s'est attelé à la tâche, les éditeurs scandinaves réclamant sans cesse de nouveaux chapitres pour remplir leurs journaux. Ceux-ci ont eu le nez creux tant l'homme, qui n'était pourtant pas dessinateur de profession, a appris plus ou moins le métier en autodidacte en recopiant les dessins de Barks. Véritable bourreau de travail capable d'effectuer de très nombreuses recherches pour faire correspondre la réalité à l'univers de Picsou, Don Rosa a su gratifier ses lecteurs d'un rendu particulièrement chiadé et sourcé, chaque événements historiques mentionnés étant pour la plupart respectueux en terme de lieux ou de dates. Picsou se retrouve ainsi à côtoyer des célébrités tels que Buffalo Bill, Théodore Roosevelt ou des individus plus obscurs chez nous mais bel et bien existants tels que le fameux « Hollandais » dont le trésor a fait rêver des générations entières d'américains. De cette manière, on pourrait croire qu'un personnage comme Picsou, passager à bord du Titanic ou chercheur d'or au Klondike, a vraiment appartenu à notre dimension, Don Rosa s'amusant ainsi à briser la diégèse qui sépare la réalité de la fiction.
Mais un comic dans la plus pure tradition. « Uncle Scrooge » ne renie pourtant jamais ses origines de Comics américain avec son lot d'aventures et d'antagonistes typiques, ces derniers rivalisant d'astuces dans le but de délester le canard de sa fortune, à l'image des célèbres Rapetou. On retrouve ainsi avec plaisir un grand lot d'ennemis charismatiques caractéristiques des BD du nouveau continent. Archibald Gripsou, rival et alter-ego africain « presque » aussi riche que lui, tente de lui dérober son titre d'homme le plus riche du monde par tous les moyens. Miss Tick, sorcière italienne, en veut à son sou fétiche, sorte de porte-bonheur qu'elle prétend pouvoir transformer en amulette avec laquelle, tel Midas, elle pourrait tout transformer en or. Ma préférence va cependant pour le chevalier noir, aussi connu sous le nom de « Lucien Arpène », roi de la cambriole, référence directe au personnage de Maurice Leblanc qui souhaite non pas voler la fortune de Picsou mais la faire disparaître. Avec cette pléthore d'ennemis présents, les aventures de Picsou à travers le monde ne sont pas sans rappeler l'héritage des romans Pulp américains des années 30, récits narrant les mésaventures de héros dans des jungles et autres temples perdus à la manière d'un certain Indiana Jones, lui aussi héritier du genre.
Picsou au Congo ? Pour l'anecdote, j'ai entendu parler de cette édition lorsqu'il a été question de censurer une des histoires de la jeunesse de Picsou. Dans celle-ci, le milliardaire commet la seule mauvaise action de sa vie en s'accaparant de force les richesses du peuple vaudou, mauvaise action figurée par un zombi qui poursuivra le canard pendant des décennies ! Il y a quelques années, Disney avait décrété que dans cette histoire, les vaudous étaient traités comme un peuple d'hommes noirs représentés comme « naïfs » pour s'être laissés ainsi bernés, Picsou revêtant même un chapeau de colon à un moment donné. Je connaissais cette BD pour l'avoir découverte enfant, et même après relecture aujourd'hui, je trouve le jugement sévère, d'autant plus que les vaudous obtiennent le dernier mot. Cette aventure représente de plus magnifiquement une pierre angulaire dans l'évolution du personnage, celui-ci ayant été tenté de prendre des raccourcis (Entendez, mauvaises actions.) pour accroître plus vite sa fortune (et ce au risque de finir comme Gripsou, son double maléfique.). Cette fable connaîtra même une suite et fin à l'époque de Donald, ce dernier devant retrouver le chef vaudou afin de s'excuser au nom de son oncle.
Disney semblait avoir rétropédalé dans sa décision de censure, se contentant d'un message au début de chaque tomes expliquant leur décision de laisser tels quels certains passages ou caricatures pour ne pas « reproduire les erreurs du passé ». Selon moi, c'est Disney qui a commis là une erreur car le Picsou de Don Rosa incarne les valeurs de l'effort, du respect et de l'honnêteté, cet épisode vaudou lui servant de leçon. Hélas, après quelques recherches effectuées, on peut constater une censure de la version française (Mais difficile de savoir si elle provient de l'époque Picsou Magazine ou de cette édition Glénat.), entre autre lors d'un passage où notre héros insulte le chef vaudou de charlatan.
Picsou remastérisé : Un mot sur les différences notables existant entre la version Glenat (devenant ici une sorte de version "Kazenban") et celles parues dans le magazine d'époque. Tout d'abord, l'édition Glenat est purement magnifique tant au niveau des couleurs que du papier utilisé. Certains petits défauts ont été corrigés pour cette version, comme des zones mal colorées ou des détails ayant disparu à l'époque pour x raisons. Le texte a été retouché sous les directives de l'auteur lui-même, celui-ci ayant fourni un certain nombre de planches d'origine ou expliquant aux traducteurs quelques expressions et références obscures employées dans la version américaine, parfois intraduisibles. Et à ce titre, Don Rosa félicite le travail d'adaptation réalisé dans la version française. On ne peut pas faire plus officiel pour le coup ! Il me semble toutefois que les pages sont légèrement moins grandes que dans Picsou Magazine, sans certitude. Il faut aussi noter la présence de BD orientées sur d'autres personnages comme Donald. En vérité, le titre de "la grande épopée de Picsou" est un poil trompeur car nous avons ici plutôt l'intégral des oeuvres de Don Rosa pour Disney. Mais on ne va pas s'en plaindre !
En bref : 7 volumes merveilleux qui vous replongeront dans les années 90, si comme moi vous avez adoré lire Picsou avec vos parents et que ces magazines trônaient du salon jusque dans les toilettes où ils étaient lus des dizaines, des centaines de fois ! Une superbe édition française pleine de magnifiques valeurs à faire découvrir à vos enfants et pour laquelle Don Rosa, que l'on peut croiser régulièrement au festival BD d'Angoulême, a agrémenté d'anecdotes de son cru. Un grand artiste pour un grand personnage ! Ou une autre manière de le dire en chanson :
♪ C'est le plus grand boss de toute la ville ! ♪
Et vous, quelle est votre histoire avec Picsou et les magazines Disney de notre enfance ?